Extrait

Elle est subitement muette, la stagiaire. C’est à ce moment que je le remarque. L’Apollon aux lunettes de soleil et à la planche de skateboard. Trop de soleil, de Californie et de cannibalisme pour huit heures du matin. Cette impression troublante qu’il me dévore malgré les verres teintés. Entre nous, un bon mètre de sardines entassées dans le couloir du bus. Châtelet. Enfin, la distance se réduit ostensiblement. La grosse Bertha a même réussi à trouver une place assise. Il ne reste plus que quelques ombres debout, autour de nous. Je l’observe effrontément, comme lui, j’en suis persuadée. Sa présence dans ce bus est décidément incongrue : il est trop solaire avec sa peau mate et bronzée, ses cheveux bruns aux légers reflets gris et son costume noir parfaitement coupé à 2000 balles importé directement de la Silicon Valley. Le style mince, beau et qui sent bon le sable chaud. Pont Neuf. Des gens montent, nous entourent. Il s’approche de moi. Je m’emballe, je m’affole, j’ai une furieuse envie de laisser le charme agir – genre ramasser un truc par terre, sentir son parfum de mâle en chaleur et me laisser violemment embrasser, déshabiller, comme ça, dans le bus, devant tout le monde, un lundi à huit heures du matin… Bref, je reste immobile comme une conne et je le regarde s’approcher, tout près, trop près. Mon Dieu, il se penche, il respire mon parfum à l’iris… D’autres voyageurs se pressent autour de nous. Il est maintenant contre moi, de plus en plus près, de plus en plus...